0218 Tout Peut Prendre Fin LorsquOn SY Attend Le Moins.
Lorsque je me réveille, le bobrun nest plus dans le lit. Je le cherche du regard, dans le petit séjour, autour de la cheminée, en train de fumer une clope ou de faire le café, il nest pas là. Je tends loreille, à laffût du moindre bruit venant de la salle de bain. En vain. Tout est silence dans la petite maison.
Le feu crépite dans la cheminée, mais pas de trace de mon Jérém. Je me lève, enroulé dans une couverture, je jette un regard à travers la fenêtre. Il nest pas non plus devant lentrée, ni dans la cour. Dailleurs, la 205 rouge nest pas là non plus.
Je cherche dans ma tête, il ne ma rien dit la veille. Je reviens au lit, en me disant quil a dû partir faire une course. Oui, il existait jadis un temps où lon ne dégainait pas le portable au moindre imprévu. Déjà, parce que le portable nétait pas encore dans toutes les poches. Et quand il létait, il ne captait pas ment. Ensuite, parce que la technologie ne nous avait pas encore rendus esclaves du « tout, tout de suite ». Certes, on sénervait déjà quand le portable ne captait pas, mais ce nétait pas le drame que cela peut représenter aujourdhui. Au fond, on était moins stressés. Moins informés, mais moins inquiets.
En attendant son retour, jai le temps de laisser remonter les souvenirs de ce dîner magique avec les potes de lasso de cavaliers, cette soirée spéciale où il sest passé quelque chose dinespéré, le premier coming out de mon Jérém. Et quel coming out, quelle façon touchante de le faire, en me donnant un bisou devant tout le monde, pour exprimer en un instant, dans lessentiel et sans fioritures, tout ce quil avait à dire. Lorsque je repense à ce baiser, jen ai encore des frissons.
Entouré de bienveillance et d'amour, porté par les discussions et les encouragements de ses amis, Jérém sest autorisé à être heureux. Certes, cela sest passé dans un environnement très favorable, au milieu de gens très ouverts desprit. Nempêche que jai limpression quaprès ça, tout devrait être plus simple.
Et aussi, bien évidemment, je repense à lamour quon sest donné cette nuit. Et, surtout, à ce que mon bobrun a voulu essayer pour la toute première fois.
Lorsque je repense à moi en lui, en train de lui faire lamour, je narrive pas encore à réaliser que cela sest vraiment produit. Que le bogoss, le rugbyman très populaire qui sest tapé la moitié des nanas du lycée et qui a dû faire mouiller lautre moitié rien quen existant, sest donné à moi. A moi, qui nétais au départ que son vide-couilles. Du moins cétait limpression que jen avais.
Que de chemin parcouru depuis le lycée, depuis limage du petit hétéro bisexuel, macho, sexuellement actif, incorrigiblement actif, limage que je métais forgée à son sujet et qui mattirait et mimpressionnait au plus haut point. Oui, que de chemin parcouru depuis ses attitudes de mâle dominant pendant nos premières révisions !
Et le fait quil ait eu envie de moffrir sa première fois me touche et me flatte dune façon inattendue. Je mesure à sa juste valeur le cadeau quil ma fait, ce cadeau que je navais même pas imaginé quil puisse envisager de moffrir un jour.
Après cette nuit, mon Jérém nen est pas moins viril à mes yeux. Il lui a fallu des sacrées couilles pour assumer cette envie qui va tellement à lencontre de ce quil avait prétendu être jusque-là. Jérém demeure et il demeurera à jamais « mon mâle ». Mais, depuis hier soir, depuis cette nuit, le gars est devenu encore un peu plus humain. Parce que non seulement il sest donné à moi, mais il sest dune certaine façon dévoilé, confié à moi.
Jaimerais bien connaître en détail le déclic qui sest produit dans la tête de mon beau Jérémie. Certes, hier soir, il avait un peu bu, un bon peu même. Je pense que cela aussi a dû jouer son petit rôle dans ce qui sest passé.
Mais jimagine que, comme pour le coming out, il a surtout dû sentir que le moment était venu, que ça devait se faire. Il en avait envie, voilà tout. Et peut-être que, dans un cas comme dans lautre, limminence du coup de fil de Paris a pu jouer le rôle détincelle, lui faisant prendre soudainement conscience que cétait « maintenant ou jamais ».
En tout cas, cétait bon, terriblement bon. Lorsque jai joui en lui, ma jouissance était tellement puissante que jai cru en devenir fou. Pendant un court instant, alors que mon esprit sévaporait sous la déferlante de lorgasme, jai même cru que je ny survivrai pas, comme certains insectes qui ne survivent pas à lamour.
Plus je pense à ce nouveau et incroyable plaisir, plus jai envie de recommencer. Je sens que la prochaine fois que nous coucherons ensemble je vais penser à ça, sans cesse, comme une idée obsédante. Est-ce quil aura envie de recommencer ? Je risque dêtre frustré. Déjà que jusque-là, à chaque fois que nous nous donnions du plaisir, jétais frustré de ne pas avoir mon bobrun partout en moi à la fois, maintenant je vais être frustré de ne pas pouvoir à chaque fois venir en lui.
Oui, jai terriblement envie de recommencer. Mon corps le réclame, mon égo le réclame aussi. Car il ny a pas que le premier qui a joui de cette nouvelle expérience. Mon égo aussi a joui, tout aussi intensément. Et il a envie de ressentir à nouveau le frisson du petit mâle qui jouit dans l« autre ». Je crois quil y a pris goût. Je pense que la prochaine fois je serais bien plus à laise. Ça donne de lassurance de jouer au petit mec.
Et aussi des nouveaux fantasmes inspirant les plaisirs solitaires.
Soudain, je réalise que je bande à vitesse grand V. Je commence à me caresser en pensant à ma queue coulissant entre ses fesses bombées de rugbyman. Et, très vite, je perds le contrôle, de bonnes traînées chaudes atterrissent sur mon torse.
Mais lorsque je reviens de cet étourdissement passager que provoque lorgasme, lorsque je rentre dans la phase de « reflux » après le plaisir solitaire, je ressens monter en moi une forme danxiété que lexcitation et le plaisir avaient masquées jusque-là. Une anxiété qui prend rapidement de lampleur.
Je repense à Paris, aux tentations auxquelles Jérém sera sans cesse confronté. Est-ce quil saura résister à lenvie de coucher ailleurs ? Est-ce que cette nouvelle envie, ce nouveau désir, ce nouveau plaisir, qui par définition ne peut être satisfait que par un mec, ne le poussera pas encore plus fortement vers la tentation ? Est-ce quil pourra mêtre fidèle ? Est-ce quil pourra ne serait-ce lenvisager ? Est-ce que jarriverai seulement à lui faire promettre de lêtre ?
A cet instant précis, je me sens accablé, jai la sensation que je perdrai mon Jérém dès linstant où il aura posé un pied sur le sol parisien.
Les minutes passent et je commence à minquiéter de son absence. Je me lève, je reviens à la fenêtre. Toujours pas de 205 rouge dans la cour. Je regarde mon portable. Toujours pas de réseau.
Je commence à me poser des questions, à vouloir interpréter son absence qui se prolonge. Il peut être chez Charlène, en train de prendre le café et de discuter chevaux. Il est peut être chez Martine, ou chez son pote fromager, ou chez nimporte lequel de ses potes cavaliers. Peut-être quil a crevé un pneu. Ou quil lui est arrivé un accident. Non, Nico, arrête ça tout de suite, ne commence pas à penser au pire.
Soudain, ce départ inattendu de Jérém avant mon réveil me fait repenser à un autre matin, après une nuit magique à lappart de la rue de la Colombette, un matin où je métais réveillé seul dans son lit, un matin où il était parti avant mon réveil, car il nassumait pas ce qui sétait passé entre nous pendant la nuit. Et il ne sagissait là que de tendresse et de câlins
Jespère que ce coup-ci il nest pas parti aussi parce quil étouffait ici, parce quil navait pas envie de voir ma tronche dès le réveil, parce quil ne peut assumer ce qui sest passé hier soir, cette nuit. Jespère quil ne sest pas tiré parce quil a honte, parce quil men veut, parce quil nest pas bien dans sa peau. Pourvu quil ne regrette pas, pourvu que ça ne le pousse pas à revêtir à nouveau son armure de petit macho, à revenir sur toutes les avancées spectaculaires de ces quelques jours dans les Pyrénées.
Jen arrive même à regretter davoir accepté de lui faire lamour. Pourtant il le voulait. Mais cette envie nétait peut-être là quà cause de lalcool. Comme dautres envies avaient été jadis dictées par le joint. Jaurais dû le comprendre. Jaurais dû me maîtriser. Mais comment lui refuser cela, alors quil le demandait avec insistance ? Si je ne lui avais pas donné, il aurait fini par le chercher ailleurs.
Et maintenant le mal est fait. Pourvu que ce ne soit pas irréparable.
Dans ma tête, je me jure que cela ne se reproduira pas, même sil le redemande, même si jai kiffé à fond et que jai terriblement envie de recommencer. Mais pitié, reviens Jérém, reviens vite, sil te plaît !
Je regarde le portable une nouvelle fois, toujours « Pas de réseau ». Fait chier ! Je sens comme une boule sinstaller dans mon ventre, grandir de minute en minute, moppresser, me couper le souffle.
Je panique, je commence à bâtir les scenarios les plus catastrophiques, mon bobrun qui change son attitude du tout au tout, qui nassume à nouveau plus rien, ni notre plaisir, ni nos câlins, ni notre amour. Je le vois faire marche arrière toute, me dire de partir vite et de ne plus jamais essayer de le contacter. Jai peur de son regard noir, de sa colère. Une fois encore, je ressens la sensation que jai tant de fois ressentie en partant de lappart de la rue de la Colombette, et notamment ce fameux matin où je métais réveillé seul dans son lit, la sensation que je ne le reverrai plus jamais, quil va me laisser tomber comme ça, sans explications et sans recours possible.
Non ce nest pas possible, pas après ce quon a vécu ce week-end, pas après ce quon a entendu à lasso. Non, il ne va pas mabandonner dans cette petite maison, il ne va pas me quitter de cette façon. Ce nest pas possible. Et pourtant, je commence à imaginer que ça puisse être possible.
Pendant un instant, je me dis quil ne reviendra pas. Je regarde ma voiture et je me dis quil ne me reste quà ramasser mes affaires et partir. Puis, le crépitement dans la cheminée me fait prendre conscience que ce feu est un signe qui devrait me réconforter. Sil comptait ne pas revenir, il naurait pas pris la peine dajouter du bois et de faire flamber.
Et pourtant, je narrive pas à me rassurer. Je ne tiens plus en place. Je me lève, je regarde une nouvelle fois par la fenêtre. Toujours pas de voiture. Je fais le tour de la petite maison, je regarde sur chaque meuble à la recherche dun mot quil maurait laissé. Rien du tout. Je panique.
Je commence à mhabiller à toute vitesse, bien décidé à prendre ma voiture et à me rendre à la superette chez Martine et chez Charlène pour savoir si elles ont vu mon Jérém.
Je viens tout juste de passer mon boxer, mes chaussettes et mon pantalon, lorsque jentends un bruit de moteur. Je regarde une nouvelle fois par la fenêtre, et je vois la 205 rouge se garer devant la porte.
Mon cur semballe, je suis soulagé, jai limpression de respirer à nouveau après un trop long moment dapnée, ma boule au ventre se dissipe dun coup. Soudain, je me trouve idiot davoir imaginé « le pire ».
La porte douvre, le bogoss rentre dans le petit séjour. Immanquable pull capuche gris sur t-shirt blanc, short en dessous du genou, baskets, cheveux bruns en bataille, peau mate, il est sexy à mourir. Quest-ce que ça fait du bien de le voir enfin !
« Salut petit loup » je lui lance en mapprochant de lui pour lembrasser.
« Salut » il me lance, laconiquement.
Mais elle est passée où la mention « ourson » ? Très vite, jai limpression que quelque chose cloche ce matin.
Mon intuition se confirme lorsque je mapproche de lui pour lembrasser et renouer avec la complicité de nos câlins de la veille. Me voyant approcher et franchir son espace vital, Jérém a une réaction surprenante, presque « défensive ». Puis il se ressaisit, et il membrasse brièvement. Nos lèvres se rencontrent fugacement, et ça na rien à voir avec les élans de la veille.
Je suis surpris. Abasourdi. En une fraction de seconde, je passe de la joie immense de le retrouver, à la désolation de voir lun de mes pires scénarios se réaliser. Oui, ce que je craignais sest bel et bien produit. Son attitude a changé. Ce matin, mon bobrun a lair bien soucieux. Il a mauvaise mine.
« Ça va, toi ? » je tente de faire bonne figure.
« Oui
».
« Tétais parti où ? » je le questionne.
« Chez Martine pour acheter des cigarettes et des croissants
merde
ils sont restés dans la voiture ».
Le bobrun se précipite dehors et il revient avec un sachet en papier rebondi.
« Ah, merci, cest super gentil » je tente de le décrisper. Son attention me touche.
« Je vais faire le café ».
Soudain, je men veux de ne pas avoir pensé un seul instant à préparer moi-même le café, au lieu de passer le longues minutes à paniquer. En rentrant dans le petit séjour, mon Jérém aurait été submergé par larôme rassurant, il aurait été touché par mon petit geste et ça laurait peut-être mis de meilleur poil. Lodeur du café est un pourvoyeur de bonheur puissant. Il ny a pas que la musique ou lalcool ou le joint qui adoucissent les murs.
Je regarde mon Jérém pendant quil saffaire avec la cafetière. Ce matin, il a lair complètement à louest. Ses gestes, dhabitude si aisés et rapides, ont quelque chose de maladroit. Le réservoir deau lui échappe des mains, il tombe dans lévier avec un bruit assourdissant.
« Fait chier » je lentends marmonner entre les dents.
En versant le café dans le filtre directement depuis le sachet, il fait déborder, et il sénerve à nouveau. Il tente de visser les deux réservoirs, le pas de vis semble réfractaire, il insiste. A la suite dun mouvement brusque, du café tombe sur son pull et sur le carrelage.
« Merde, merde, merde » je lentends pester.
Il arrive enfin à serrer les deux parties de la cafetière, et cette dernière atterrit sur le feu. Pendant ce temps, je passe un t-shirt et jatt le balai pour nettoyer, mais le bobrun men empêche.
« Laisse » il me lance sèchement, en marrachant loutil des mains.
Définitivement, ce matin mon bobrun est de mauvais poil. Et je commence à minquiéter sérieusement.
« Quest-ce qui se passe ? » je le questionne.
« Il ne se passe rien, jai juste fait tomber du café ».
« Je vois bien que ça ne va pas ».
« Je te dis que ça va ».
Oh, putain, on dirait nos conversations rue de la Colombette. Moi qui essaie descalader un mur de verre et Jérém qui met de lhuile dessus pour quil soit encore plus glissant.
« Tas pas bien dormi ? » je tente de lui faire la conversation. Ou, plutôt, de ne pas regarder les choses en face.
« Pfffffff ! ».
Là il ny a plus de doute, notre complicité de la veille sest envolée. Jai envie de pleurer. Jai envie de partir. Je passe mon pull, japproche de la fenêtre et je regarde dehors pour cacher les larmes que je narrive pas à retenir.
Dehors, il fait très gris. Tout comme dans le petit séjour. Le brouillard sur les pentes est de plus en plus épais et menaçant. Tout compte fait, je me demande si cest une bonne chose daller se balader aujourdhui.
Soudain, je sens sa présence juste derrière moi. Le bobrun passe ses bras autour de ma taille, il me serre contre lui, il me fait un bisou, un seul, dans le cou et il me chuchote :
« Désolé, cest vrai, je nai pas très bien dormi cette nuit ».
« Quest-ce qui sest passé ? Jai pris trop de place ? Jai ronflé ? ».
« Non, non, ça marrive parfois. Mais ça va aller, laisse-moi le temps démerger, le café va me faire du bien ».
« Daccord » je fais, un brin rassuré, tout en me retournant et en cherchant à lembrasser. Mais, en dépit de ses mots qui se veulent rassurants, son attitude demeure distante. Ses lèvres sont peu chaleureuses.
Allez, ne te prends pas la tête Nico, sil a dit quil a besoin de temps pour émerger, laisse-lui le temps. Sois confiant. Et change de sujet.
« Elle allait bien, Martine ? ».
« Oui, elle avait lair. Je lui ai dit quon partait à Gavarnie ce matin ».
« Tes sûr que cest une bonne idée dy aller aujourdhui ? » je profite pour lui faire part de mes doutes.
« Pourquoi ça ? ».
« Regarde ce brouillard ».
« Ca va aller ».
« Pourquoi on ny irait pas plutôt demain ? ».
« Non, on y va aujourdhui » fait-il, sèchement.
« On y va aujourdhui » il se reprend sur un ton plus calme « parce que cest pas sûr que demain la météo sera meilleure ».
Je me range à son avis et je ninsiste pas. Je passe à la douche. Lorsque je reviens, le café vient de monter, nous déjeunons en silence. Un silence qui me fait mal au cur. Car, malgré ses explications, je sens quil y a un malaise, un malaise que je ne sais pas comment dissiper. Je connais un peu mon bobrun et je sais que le questionner davantage ne ferait que le braquer.
Et pourtant, notre complicité des jours précédents me manque terriblement. Où est-elle passée ? A quel moment lavons-nous perdue ? Comment on fait pour la retrouver ? Ni la confiture, ni le bon pain, ni les chocolatines, ni même le café nont la même saveur sans cette délicieuse complicité.
Jérém a vite avalé son café et une chocolatine, il est parti à la douche, il est revenu avec les cheveux encore humides, sexy à tomber, et il sest installé à côté du feu pour se griller une clope.
« Tu tes mis de la confiture sur le pull » il me lance sur un ton monocorde alors que je ne peux détacher les yeux de lui, tout en me forçant à terminer la dernière chocolatine.
Je regarde mon pull taché et je rigole. Jérém ne rigole pas. Son regard est fermé, ses traits immobiles. Jai à nouveau envie de pleurer.
Jérém termine sa cigarette et sapproche du lit. Il fouille dans son sac de sport et il en sort un pull à capuche rouge avec des inscriptions blanches floquées. Il sapproche de moi et me le tend.
« Il est bien chaud » il me lance.
Son geste me touche.
« Merci ».
Je me déleste de mon pull taché et je passe le sien.
Dès le premier contact, le tissu ma paru doux, chaud et agréable. Mais lorsque je le passe, lorsque le tissu caresse la peau de mes bras et de mon cou, lorsque mon nez plonge dans lunivers olfactif dont sont imprégnées ses fibres, je manque de peu de disjoncter.
Car ces fibres portent à la fois le parfum de sa lessive, son parfum à lui, la signature olfactive de sa présence. Les tissus qui ont caressé sa peau sont comme marqués à tout jamais par cette mâlitude radioactive qui se dégage de lui et qui imprègne tout ce quil approche.
Ce pull est comme une caresse, comme une étreinte de mon bobrun, une étreinte et une caresse parfumées, qui remplacent un peu celles quil ne semble plus disposé à moffrir aujourdhui. Enveloppé dans ce pull, jai presque limpression dêtre dans ses bras.
Soudain, je repense à cette chemise quil ma passée un jour pour couvrir mon t-shirt taché lors de nos fougueuses « révisions », et quil ne ma jamais réclamée. Je lai passée parfois, pour retrouver son odeur, pour retrouver sa présence. Jadore porter ses vêtements, jadore sentir sa présence autour de moi, sur moi.
« Il est un peu grand » je rigole « mais il est très chouette ! Merci, Jérém ! ».
Je tente de lui donner un bisou, quil me rend sans entrain.
Quelques minutes et une nouvelle cigarette plus tard, nous sommes en route vers Gavarnie.
Au village, nous prenons la direction de La Mongie. Je suis toujours autant émerveillé par les paysages à la fois domestiqués et indomptés de la montagne, par larchitecture typique de la région, par ces petites maisons en pierre, recouvertes dardoise, par les petits ponts, par les murs de soutènement en pierre, autant de témoins de la rudesse de la vie dans la région dans les siècles passés.
Ici, dans les Pyrénées, jai limpression dêtre dans un autre monde, dans une autre dimension. Ici tout a lair plus simple et plus authentique quen ville, la vie, les gens, les relations humaines.
La 205 rouge file tout droit sur sa route. Le ciel est gris, il y a du brouillard dans la vallée, les couleurs sont ternes, tristes. Un fin brouillard tombe sur le parebrise. Il fait gris dehors, et jai toujours limpression quil fait gris dans la voiture aussi, entre Jérém et moi.
Jai envie de lui poser mille questions mais je ne veux pas empirer la situation, je ne veux pas gâcher lespoir quil « émerge » enfin, comme il me la promis. Ou alors, au contraire, est-ce quil ne vaudrait-il mieux crever labcès tout de suite ? Il faut juste que je trouve le bon moment et les bons mots.
Plusieurs kilomètres plus loin, je nai toujours pas trouvé ni lun ni les autres. La fine pluie a cessé. Le brouillard est toujours épais, mais il a lair de vouloir se dissiper au loin. Ce qui ne semble pas être le cas de celui qui plombe lhumeur de mon bobrun.
Le silence dans la petite voiture se prolonge et devient de plus en plus gênant. De temps à autre jessaie de faire la conversation, mais le bobrun nest vraiment pas causant ce matin.
Faute de savoir comment lui parler, je le regarde en train de conduire. Sa façon de tenir le volant, en lempoignant fermement, est très virile. Jai toujours aimé regarder mon Jérém au volant, car il dégage quelque chose à la fois de très sexy et de profondément rassurant. Jai limpression que rien ne peut marriver quand je suis en voiture avec lui. Que je pourrais le suivre jusquau bout du monde.
Soudain, les souvenirs dautres voyages dans la 205 rouge remontent en moi, les souvenirs de retours de boîte de nuit vers lappart de la rue de la Colombette, souvenirs de lépoque de ma totale soumission à ses envies de mâle dominant. Lors de ces voyages, Jérém était silencieux aussi, et distant. Et si, comme je le craignais, ce qui sest passé cette nuit marquait un retour en arrière drastique ?
Nous traversons le village de La Mongie, nous apercevons le départ du téléphérique sans apercevoir le Pic du Midi, enveloppé par le brouillard.
« Tes déjà monté tout en haut ? » je le questionne.
« Oui, il y a quelques années, mais cétait un jour comme aujourdhui, couvert ».
« Alors tas rien vu ».
« Si, jai vu la mer de nuages. Le sommet est quasiment tout le temps au-dessus des nuages. On les traverse avec le téléphérique. Là-haut, il fait soleil presque en permanence ».
« Ça doit être beau la mer de nuages ».
« Ça lest, mais on ne voit rien du paysage ».
« Jaimerais y monter un jour ».
« Cest pas donné, mais ça vaut le coup ».
« Jaimerais quon y monte tous les deux » je précise mon propos.
« Il faut y monter lété » cest sa réponse laconique, alors quil vient dallumer la radio, comme pour faire diversion.
Les petites enceintes de la voiture grésillent sur une fréquence chargée de bruits parasites.
« Vas-y, cherche une station qui capte » il me lance, en remettant sa deuxième main sur le volant.
Mais moi, au contraire, jai envie déteindre, et de chercher à savoir enfin ce qui le chagrine.
Et pourtant, je mexécute. Mais jai beau parcourir plusieurs fois de bout en comble le spectre entre 88 et 108 MHz, je ne capte que des bouts de mots et de musiques parasités par dinsupportables grésillements.
Du moins, jusquà ce que je tombe sur une chanson bien connue et qui me prend instantanément aux tripes. Par chance, la station semble relativement stable, le grésillement est toujours présent mais acceptable.
https://www.youtube.com/watch?v=oCZWdyBjI_8&list=RDoCZWdyBjI_8&start_radio=1&t=25#t=0m47s
(
) Il y aura certainement/Sur les tables en fer blanc
Quelques vases vides et qui traînent/Et des nuages pris aux antennes
Je t'offrirai des fleurs/Et des nappes en couleurs/Pour ne pas qu'octobre nous prenne
Une chanson qui me donne envie de pleurer car elle me parle de cet automne qui arrive, de ce temps qui avance et qui finira par me séparer de mon Jérém. Et lidée de nous séparer alors que notre complicité sest envolée mest encore plus insupportable. Il faut absolument que je trouve le moyen de la retrouver. Mais où et comment aller la chercher ?
La chanson se termine, jai besoin de me rassurer en caressant le cou et la nuque de mon Jérém. Mais, comme cela avait été le cas pour le bisou lors de son arrivée à la petite maison, il a un mouvement desquive, comme sil ne supportait pas ce contact.
« Quest-ce quil y a ? Tu naimes plus ? ».
« Il fait jour, on peut nous voir ».
« Et cest grave ? Tu mas bien embrassé sous la halle, le jour de mon arrivé ».
Jérém ne répond pas, il se contente de secouer la tête et dallumer une nouvelle cigarette. Mon malaise et ma tristesse gonflent de minute en minute.
Je suis à deux doigts de le questionner. Le bobrun doit le sentir car il ne men laisse pas loccasion. Il prend linitiative de meubler le silence en faisant une nouvelle recherche sur la radio, en calant sur une fréquence diffusant du rock, et en montant le son.
Devant nous, le brouillard se dissipe un peu. La route de fond de vallées serpente dans un paysage de pentes douces couvertes dune végétation rase mais verdoyante. Un peu plus haut, la flore est dense et luxuriante, comme laine à moutons. En remontant encore les pentes, le paysage devient de plus en plus minéral, le gris devient la couleur dominante.
Nous longeons un quartier avec de nombreuses résidences à flanc de montagne, plus ou moins stylées.
La fréquence radio se volatilise à nouveau, je me remets à chercher. Et je tombe sur une radio où lanimateur raconte une histoire étrange.
[«
en entendant cette émission, jai presque fait une crise cardiaque » racontait à lépoque un habitant du Bronx « jétais scotché à ma radio et je n'ai pas éteint avant que le programme soit presque terminé. [...] Quand le « Secrétaire de l'intérieur » a été présenté, j'étais convaincu qu'il s'agissait de McCoy. Jai paniqué. Je me suis précipité dans la rue et il y avait des gens qui couraient dans toutes les directions ».
Le 30 octobre 1938, dans la soirée, la radio américaine CBS diffusait un récit radiophonique raconté par Orson Welles. Inspiré du roman « La Guerre des Mondes », cette fiction a été présentée comme une émission d'actualité, avant que la supercherie ne soit dévoilée. Le canular a fait paniquer une partie de l'Amérique, qui a cru qu'une invasion de Martiens hostiles était en cours].
La radio se met à grésiller à nouveau, la station est perdue. Je recommence à zapper, jerre longuement sur les fréquences sans arriver à trouver quelque chose découtable.
Jusquà ce que, au bout dun moment dintenses grésillements, je suis accroché, harponné, scotché par la mélodie, la voix et les mots dune chanson que je découvre pour la toute première fois. Par chance, jarrive à stabiliser la fréquence.
De New York à Tokyo/Tout est partout pareil
On prend le même métro/Vers les mêmes banlieues
https://www.youtube.com/watch?v=a7VSWp2-n_hg
https://www.youtube.com/watch?v=a-242Zqs8IE
Tout le monde à la queue leu leu/Les néons de la nuit/Remplacent le soleil
Et sur toutes les radios/On danse le même disco/Le jour est gris la nuit est bleue
Dans les villes/De l'an deux mille/La vie sera bien plus facile
On aura tous un numéro/Dans le dos/Et une étoile sur la peau
On suivra gaiement le troupeau/Dans les villes/De l'an deux mille
(
)
Monopolis/Il n'y aura plus d'étrangers/On sera tous des étrangers
Dans les rues de... /Monopolis
Et qui sont tous ces millions de gens/Seuls/Au milieu de.../Monopolis
Je suis abasourdi. Pour moi, cette chanson, c'est une révélation, une claque. Ça me donne des frissons partout, des jambes jusqu'à la racine des cheveux. Car, en quelques couplets et sans détours, cette chanson parle de la vie dans les villes daujourdhui, de métro-boulot-dodo, de standardisation des modes de vie, de dépersonnalisation, de perte didentité, dexploitation, de masses humaines se comportant comme de troupeaux de moutons, duniformisation culturelle, de surveillance de masse. Et, par-dessus tout, de solitude.
Portée par cette voix à la fois si belle et si troublante, cette chanson dépeint en trois minutes à peine un monde sombre, dénué de toute couleur et de tout bonheur, dans lequel les gens ont lair davancer comme des fantômes. Cest saisissant, inquiétant. Est-ce nous allons y arriver bientôt, « Dans les villes de lan 2000 », dans cette société de fous ? Ou bien, est-ce que nous y sommes déjà dedans, sans même nous en rendre compte ?
Je nen reviens pas de ne pas connaître un truc aussi génial. Ça date de quand, cest sorti quand ? Jai terriblement envie de me procurer le cd pour mieux réécouter ce petit chef duvre, jai besoin de savoir qui en est lauteur et le compositeur, et qui est la chanteuse qui ma donné tant de frissons.
Et alors que je commence à me sentir frustré que le titre se termine sans que je ne sache rien de cela (il y avait aussi une époque où Shazam nexistait pas), voilà que sur les dernières notes de musique, une voix féminine vient moffrir le bonheur den savoir un peu plus sur cette chanson et sur sa genèse.
[« Monopolis est lune des chansons douverture de Starmania, opéra-rock cultissime de Luc Plamondon et Michel Berger. On ne présente plus Starmania, car il est peu probable de ne pas en connaître au moins une chanson, tant certaines sont passées dans la culture collective : « Le blues du businessman », « Ziggy », « SOS dun terrien en détresse », ou encore « Le monde est stone »].
Je connais en effet la chanson de Ziggy et « Le monde est stone ». Notamment car la première parle dun garçon qui aime les garçons et elle a été reprise par Céline Dion, alors que la deuxième a été reprise en anglais par Cindy Lauper. Mais je ne connaissais jusquici Starmania que de nom, et de façon plutôt abstraite.
[« Créé en 1979 » continue lanimatrice radio « Starmania est un bel exemple de dystopie.
Dystopie, quésako ? Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur. Une dystopie peut également représenter une utopie ou une idéologie qui vire au cauchemar. Ce genre est souvent lié à la science-fiction, ou à l'anticipation.
Laction de Starmania se situe peu avant les années 2000, dans un monde futuriste, hyper-urbanisé et hyper-industrialisé. La surface de la Terre semble nêtre plus que décombres et la population vit dans des villes-capitales souterraines. Alors que les métro est aérien. Définitivement, cest un monde qui tourne à lenvers.
Une bande de zonards menée par Johnny Rockfort, lui-même mené par une dénommée Sadia, devient terroriste pour lutter contre Zéro Janvier, un riche constructeur de gratte-ciels qui se présente aux élections pour la présidence de lOccident. Rien que cela »].
Quand tout l'monde dort tranquille/Dans les banlieues-dortoir
On voit les Etoiles Noires/Descendre sur la ville
https://www.youtube.com/watch?v=hK02LhIIFJA
(
) C'est la panique sur les boulevards/Quand on arrive en ville
Il se passe quelque chose à Monopolis/
https://www.youtube.com/watch?v=DhzMXb1AW7s#t=1m44s
Quand le soleil se couche tout l'Occident a peur
[« La première partie de notre émission consacrée à Starmania sachève ici. La suite demain à la même heure sur nos ondes. Nous vous laissons avec lun des airs les plus connus de lopéra-rock, « La Complainte de la Serveuse automate ». Marie-Jeanne, la serveuse de lUnderground café, est peut-être le personnage le plus lucide dans ce décor de gens complètement déconnectés deux-mêmes. Bonne écoute, je vous retrouve demain »].
J'ai pas d'mandé à v'nir au monde/J'voudrais seul'ment qu'on m'fiche la paix
J'ai pas envie d'faire comme tout l'monde/Mais faut bien que j'paye mon loyer
J'travaille à l'Underground Café
https://www.youtube.com/watch?v=kOUxUZ6FprQ#t=1m20s
Encore une chanson magnifique, qui parle une fois de plus de solitude, dun monde où le bonheur est absent, ou les Hommes se sentent frustrés dans leurs aspirations profondes, dune société qui offre des biens matériels mais qui est fatale pour lépanouissement de tout un chacun.
Starmania. Jai bien retenu le nom de lopéra. Jaimerais tellement pouvoir écouter lémission du lendemain, et découvrir la suite des chansons et de lanalyse de lanimateur. Je ne sais pas si cela sera possible. Jen doute fort.
Quoi quil en soit, dès mon retour à Toulouse, une virée dans un célèbre grand magasin culturel de la place Wilson simpose. Il me tarde davoir le cd et de découvrir toutes les chansons de ce chef duvre.
Pendant un court instant, mon retour de Toulouse mapparaît comme une source de bonheur. Un instant qui se dissipe très vite et très violemment, lorsque je réalise que ce retour est synonyme de séparation de mon Jérém. Alors, je nai aucune raison de me réjouir dêtre à Toulouse. Et encore moins maintenant, alors que jai perdu la connexion magique avec mon bobrun et que je narrive pas à la retrouver, à linstar de cette radio dont je balaie les fréquences sans arriver à capter quoi que ce soit dintelligible.
Jérém enchaîne les cigarettes et demeure silencieux, lair complètement ailleurs. Je tente de garder espoir que son moral puisse se lever, se dégager, quun rayon de notre belle complicité des derniers jours puisse pointer à travers les nuages de sa mauvaise humeur et arriver à réchauffer mon cur frigorifié. Jespère que ça va lui passer, quil va se rendre compte que rien de ce qui sest passé hier soir ou cette nuit nest grave, et que notre amour vaut bien plus que tous les remords. Des remords qui nont dailleurs aucune raison dêtre.
Mais plus le temps passe, plus jai du mal à garder cet espoir. Ma tristesse ne fait que gonfler encore et encore. Jai de plus en plus de mal à retenir mes larmes. Kilomètre après kilomètre, cette virée qui devait être magique, devient un cauchemar dinquiétude.
Après Luz-Saint Sauveur, la vallée devient de plus en plus encaissée, la route serpente à flanc de montagne. Sur la droite, en contrebas, coule une rivière.
« Tu sais ce que cest cette rivière ? » je le questionne.
« Cest le Gave de Pau. Il prend sa source à Gavarnie, par la grande cascade » il mexplique, avant de continuer, sur un ton plus taquin « et il descend jusquà Lourdes, où ses eaux deviennent soudainement miraculeuses ».
Et là, alors que je ny espérais plus, je sens sa main se poser sur ma cuisse, chaude, lourde, rassurante. Je pose à mon tour ma main sur la sienne et nos doigts sentrelacent. Mon cur bondit, lascenseur émotionnel est violent. Je passe de la tristesse au bonheur en une fraction de seconde. Mes larmes changent de signe instantanément et je ne peux plus les retenir, mes yeux sembuent.
Une fois de plus, jai limpression de respirer à nouveau après une longue apnée. Par ce simple contact de nos doigts, jai limpression de retrouver mon Jérém.
« Ca va Nico ? » il me questionne.
« Maintenant ça va ».
Jai envie de le couvrir de bisous et de câlins, jai envie de le serrer très fort contre moi, jai envie de sentir nos corps nus lun contre lautre, jai envie de plonger mon nez dans les poils doux de son torse, jai envie de faire lamour avec lui.
La route est étroite et sinueuse. Nous sommes ralentis pas un camping-car que nous avons chopé à Luz et que nous navons pas pu doubler depuis.
Le contraste est saisissant entre la paroi rocheuse à notre gauche et la falaise à notre droite au fond de laquelle circule la rivière alimentant une végétation luxuriante.
A lapproche de Gavarnie, Jérém fait un écart pour éviter de justesse un gros caillou tranchant tombé sur la route et qui aurait pu crever un pneu.
Au détour dun virage, nous arrivons à destination. Dès lentrée du village, la vue du cirque rocheux soffre à nous. Sa forme en amphithéâtre est spectaculaire et majestueuse. Nous nous garons sur un petit parking. Je suis impatient de marcher vers le géant de pierre.
Nous traversons un quartier de restaurants et de magasins, ces derniers exposant toute sorte de bibelots souvenirs. Dans des paniers en hauteur, des armées de marmottes en peluche sifflent sur notre passage.
Au fur et à mesure que nous nous éloignons du village, les commerces se font plus espacés, et nous rentrons dans une région marquée par la musique de la rivière roulant sur les cailloux, une région où la montagne reprend peu à peu ses droits.
Le cirque se dresse devant nous. Je repère la fameuse cascade sur la gauche. Notre destination paraît étonnamment proche. Mais, à en juger par limpression de vitesse ralentie de la cascade, ce sentiment de proximité nest quillusion. Dailleurs, un panneau en bois indique : « Cascade 2h15 ».
« Ca va faire une sacrée trotte » je commente.
« Ca cest un timing pour les vieux, nous on va faire ça en moitié temps ».
« Si tu le dis
».
Et en effet, mon bobrun avance dun pas soutenu. Jessaie tant bien que mal de suivre, porté par le bruit sec et cadencé de nos pas sur les cailloux.
Nous quittons peu à peu la civilisation pour nous aventurer dans la nature. Nous continuons de suivre la rivière à contre-courant, alors que le chemin commence à monter doucement. Nous tombons sur un petit pont en pierre de toute beauté.
Nous ne sommes pas les seuls marcheurs, mais il ny a vraiment pas grand monde aujourdhui. Lété est bel et bien derrière nous.
Nous arrivons dans une prairie destive rasée par les bêtes pendant leur séjour à la belle saison. Le soleil est enfin de sortie, il fait chaud, le bobrun tombe le pull à capuche, il fait péter le t-shirt blanc mettant en valeur son torse musclé et ses biceps puissants. Il est vraiment sexy à mourir. Mais toujours excessivement silencieux. Si seulement je pouvais retrouver le Jérém de la veille, putain !
Le chemin se fait de plus en plus pentu et rentre dans un sous-bois où la lumière du jour narrive quà faible intensité. Ici, au pied des arbres, on sent remonter les odeurs de terre, dhumidité, de feuilles mortes, lodeur de lautomne.
Au gré de nos pas, le cirque se cache et se dévoile par surprise. Lorsquil réapparaît dans une ouverture dans la végétation, il semble désormais nous surplomber. Mais là encore, ce nest quillusion. Un autre panneau en bois indique : « Cascade 1h45 ».
La pente de plus en plus importante, ainsi que la marche sur les cailloux sans chaussures adaptées, me ralentissent. Mais le bobrun, bien musclé, avance toujours dun pas rapide. Il me distance. Je nessaie pas de le retenir, je garde mon souffle pour leffort. Je ne veux pas non plus lagacer.
Puis, à un moment, il finit par se retourner. Et là, me voyant ramer, il me sourit, pour la première fois de la journée. Je devrais en être heureux, mais jai limpression que son sourire est terne. Dailleurs, il disparaît très vite de son visage.
Au bout de nombreux virages et de nombreux efforts, nous arrivons aux pieds dune grande bâtisse sur laquelle est peint, en grandes lettres capitales, lintitulé de « Hôtel de la Cascade ».
Nous arrivons par larrière, nous contournons lédifice. Mais les volets sont fermés, la terrasse est déserte. Le cirque se dresse devant nous.
« Cest ici que mon père sest arrêté » il me raconte, après sêtre assis sur un petit mur en pierre et avoir allumé une clope.
« Et tu voulais aller plus loin ».
« Il faisait chaud, et je voulais aller me baigner à la cascade. Je croyais quil y avait un grand bassin avec dautres s en train de jouer ».
« Tavais quel âge ? ».
« Sept, peut-être huit ans ».
La cascade sur la gauche du cirque nous nargue. Un sentier de plus en plus escarpé, étroit, à flanc de montagne, nous sépare de notre destination ultime.
« Allez, en marche ! » fait mon bobrun en écrasant le mégot sur une pierre, avant de le glisser dans sa poche.
Nous reprenons notre avancée sur un chemin peu aisé, un parcours très « sportif », permettant à la puissance physique de mon bobrun de sexprimer pleinement. Cest beau dêtre aussi musclé.
Au bout dun bon moment de marche, nous contournons une butte positionnée pile en face du cirque. En fait, elle donne limpression dêtre installée précisément au cur du cirque. On dirait une perle posée dans sa coquille ouverte.
Le cirque est de plus en plus imposant, il nous enveloppe, il nous domine. Je me sens tout petit devant son regard multi-millenaire, « multi » à un point que ma raison ne peut même pas concevoir. Et je me sens tout petit devant cette nature indomptée.
Jérém file tout droit vers la cascade et je mefforce de rester derrière lui. La vision de son dos en V et de ses épaules charpentées maide à avancer, comme un mirage de bogossitude séloignant sans cesse et mentraînant dans son errance.
La végétation disparaît peu à peu, laissant la place à la roche nue. Des sifflements de rapaces tournoyants dans les airs résonnent dans lamphithéâtre naturel.
Vingt mètres devant moi, Jérém sarrête soudainement, ce qui me permet de le rattr.
« Tu fatigues ? » je le charrie.
« Ecoute » fait-il, sans prêter attention à mes mots.
« Quoi, les oiseaux ? ».
« Non. Ecoute bien, tu entends ces sifflements rapides, fins, aigus ? ».
Je tends loreille et effectivement, jarrive à distinguer ce sifflement de celui des rapaces.
« Oui, je lentends ».
« Ce sont des marmottes ».
« Mais ça ne siffle pas comme celles des magasins au village » je rigole.
« Ca siffle comme des vraies » il se moque.
« Jaimerais en voir de près ».
« Ca métonnerait quon y arrive » fait le bobrun.
« En revanche » il continue « ça ne métonnerait pas quon croise des Dahus ».
« Des quoi ? ».
« Des Dahus. Tu connais pas ? ».
« Non ».
« Le Dahu ressemble à un Isard ».
« Cest quoi un Isard ? ».
« Un chamois des Pyrénées. Donc, le Dahu ressemble à un Isard, sauf quil a les deux pattes de droite qui sont plus courtes que celles de gauche
».
Et là, devant mon regard incrédule, il précise :
« Cest pour mieux se tenir à flanc de montagne ».
« Tes con » je fais, tout en rigolant de sa blague.
Jérém aussi se marre, il rigole, et son sourire me réchauffe le cur.
Nous recommençons à marcher et le paysage devient de plus en plus lunaire, 100% minéral.
La cascade est de plus en plus proche, mais une dernière côte raide nous y sépare. Jérém file tout droit, finger in the nose.
Son cul bien rebondi est une machine de guerre et un bonheur pour le regard. Et quand je pense quil a été à moi, pas plus tard quil y a quelques heures, jen banderais presque sur le champ, si seulement je nétais pas à ce point à bout de souffle. Vraiment, cétait trop bon de lui faire lamour. Jespère vraiment que ce nest pas à cause de ça quil nest pas bien dans ses baskets aujourdhui. Et pourtant, à quoi dautre pourrait être dû son changement radical dattitude ?
A la moitié de lascension, la fatigue me gagne. Je nen peux plus, jai besoin dune pause, je me pose sur une roche. Je regarde mon bobrun tracer tout droit, comme un TGV. Cest à la fois fascinant et décourageant.
Au bout dune minute à peine, je me fais violence pour reprendre la marche et ne pas me faire trop distancer par Jérém. Même si, désormais, cest certain, il arrivera au pied de la cascade avant moi.
Je monte en zigzaguant pour apprivoiser la pente, mais cest dur quand même. Je glisse, je dé. Plusieurs dizaines de mètres plus haut, mon bobrun sest posé aussi. Il fume une cigarette. Mais où trouve-t-il tout ce souffle ?
Après un gros effort physique, en arrivant près de lui, je dé une nouvelle fois. Le bogoss se lève, jette sa cigarette et je sens sa main attr la mienne. Le contact avec sa peau, avec sa prise puissante me fait du bien, me rassure, me touche, mémeut, me charge de lénergie nécessaire pour accomplir la dernière ligne droite sur la côte raide.
« Merci ».
Jérém reprend de lavance, je trime pour franchir les derniers mètres, alors que le bruit de la cascade devient un peu plus tonitruant à chaque pas. Jai à la fois chaud, à cause de leffort prolongé, et froid, à cause du contact de ma transpiration avec lair glacé et humide qui passe les vêtements.
Jérém est arrivé à la cascade, il se tient juste devant, les jambes légèrement écartées, les mains sur les hanches, une attitude qui semble traduire une belle satisfaction pour son exploit. Mais le bogoss a froid aussi, et très vite il remet son pull à capuche.
Un dernier effort, le plus dur, et jy arrive enfin, jarrive moi aussi au pied de la cascade, je rejoins mon Jérém. Et je reçois de plein fouet lair humide sur ma peau, ainsi que le bruit assourdissant de leau jaillissant de la roche, percutant violemment les rochers après une chute de cent mètres, pour alimenter une rivière et tant de vie sur son parcours.
Je regarde mon Jérém, il me regarde à son tour, je lui souris. Lui aussi me sourit. Et son beau sourire semble enfin libéré. La fierté pour son exploit doit y être pour quelque chose, mais ce sourire me permet de recommencer à espérer.
« Jai toujours eu envie de venir ici » il mexplique, en criant, pour se faire entendre par-dessus le bruit assourdissant.
« Cest magnifique » je commente.
« Je suis content dy être venu avec toi » il ajoute, en me regardant droit dans les yeux. Son regard est à nouveau doux et adorable.
Nous nous faisons face. Je sais que nous sommes seuls, car il ny a personne dans les parages à moins de longues minutes de marche au ralenti dans un environnement difficile. De plus, nous sommes protégés par les roches, par le bruit sonore de la cascade.
Alors je menhardis. Jatt le deux cordelettes de son pull à capuche, je lattire contre moi. Jérém oppose une certaine résistance, le temps de balayer à son tour lhorizon du regard.
« Il ny a personne, tinquiète. Ce ne sont pas les Dahus qui vont nous regarder de travers » je le taquine.
Réplique qui me donne droit à un nouveau magnifique sourire de bobrun.
Jérém avance vers moi, et membrasse. Nos lèvres et nos langues se mélangent, ses mains enserrent les miennes.
Eh bien voilà, voilà où elle se cachait notre complicité non pas perdue mais simplement égarée. Elle nous avait devancés au pied de la grande cascade du cirque de Gavarnie et elle nous attendait. Jai froid, je frissonne, mais je suis heureux.
Un instant plus tard, le bogoss passe derrière moi, me prend dans ses bras et il me serre très fort contre lui. Tout en posant quelques bisous très doux dans mon cou.
La chaleur de ses bras et de son torse me fait du bien. Au corps, tout comme à mon esprit.
Nous restons un petit moment là-haut, enlacés, à contempler la puissance de leau et de la montagne. Avant dentamer la descente, nous échangeons un dernier bisou.
Dans ce paysage lunaire à forte pente, la descente est tout aussi fatiguant que la montée. Car elle mobilise des muscles déjà bien fatigués, les fait travailler à « contre-sens » et elle oblige à négocier le moindre déplacement pour ne pas glisser et se ramasser plusieurs dizaines de mètres plus bas.
Jérém est plus rapide, mais il finit par mattendre au pied de la côte. Nous avançons dun pas soutenu, lappétit motivant notre marche que je crois calée, pour lui comme pour moi, sur le chemin le plus court pour arriver au village et à la nourriture.
Mais lorsque nous arrivons à hauteur de la butte en plein cur du Cirque, sans prévenir, Jérém grimpe dessus. Sans hésiter, je marche dans ses pas.
Le bogoss sassoit par terre, il allume une cigarette. Il a à nouveau lair soucieux, ailleurs. Je massois à côté de lui. Je décide de mettre mes peurs de côté et den avoir le cur net.
« Quest-ce qui ne va pas, aujourdhui, Jérém ? ».
« Tout va bien ».
« Non, je vois bien que quelque chose te tracasse ».
Un silence entrecoupé par des taffes est sa seule réponse.
« Tu regrettes ce qui sest passé hier à la soirée ? » je tente de le cuisiner.
« Non, pas du tout. Au contraire, ça ma fait du bien ».
Cest déjà ça. Mais ça ne répond pas à mes questionnements. Alors, je décide dy aller franco :
« Et ce qui sest passé cette nuit ? ».
Le bogoss demeure silencieux, le regard perdu au loin.
« Je veux pas tembêter avec ça, mais tu nas rien dit après, alors je ne sais pas ».
« Javais envie de savoir comment cest ».
« Tas aimé ? »
« Javais envie de te faire plaisir ».
« Cest pour ça que tu las fait ? ».
« Je savais que ten avais envie ».
« Tas eu mal ? ».
« Un peu, au début ».
« Je my suis mal pris ? ».
« Cétait une première fois
»
« Et après, tas aimé ? ».
« Oui
enfin
je ne ferais pas ça tous les jours. Je préfère comme on fait dhabitude ».
Un instant plus tard, il écrase sa cigarette dans lherbe et range le mégot dans sa poche. Puis, après avoir pris une profonde inspiration, il me lance à brûle-pourpoint :
« Jai un truc à te dire, Nico ».
Cette simple phrase a le pouvoir déveiller en moi une peur bleue. Instantanément, un frisson géant me glace le dos.
« Si ce matin je suis allé chez Martine » il continue « cétait pas juste pour acheter le petit déj ».
Le cur dans la gorge, incapable démettre le moindre mot, je le laisse parler.
« Jy suis allé aussi pour écouter mes messages ».
Soudain, tout devient clair dans ma tête. Mon cur semballe, je sens un flot de larmes se presser au seuil de mes yeux.
« Et il y avait un message de Paris
» je le devance, sans possibilité de me tromper, hélas.
« Oui
».
Un coup de massue sur la tête. Voilà ce que je ressens à cet instant précis. Bien sûr, à une ou deux reprises, je métais posé la question de savoir si son changement dattitude nétait pas plutôt lié à ce coup de fil, ou du moins à son imminence. Certes, il ne la jamais évoqué. Et pourtant, dans mon for intérieur je me dis quil doit y penser quand même. Mais pas un seul instant jaurais imaginé que ce coup de fil était déjà tombé et que tout allait se précipiter si vite.
Je me sens soudainement perdu, abandonné. Jai limpression quun abysse de solitude et de tristesse souvre devant moi, maspire inexorablement.
« Tu dois partir quand ? » jarrive quand même à le questionner, après un moment de silence nécessaire pour revenir à moi, comme après un choc.
Et là, deuxième coup de massue, à la puissance décuplée :
« Je dois être au club jeudi matin. Alors, je dois partir demain ».
« Si vite ? ».
« Oui
».
« Cest pour ça que tu faisais la tête ».
« Ca me pesait de devoir te lapprendre ».
« Pourquoi tu ne me las pas dit avant ? ».
« Je ne savais pas comment te le dire ».
« Javais le droit de savoir » je lance, tout en éclatant en sanglot.
« Tu vois, je ne voulais pas ça » fait-il, visiblement ému lui aussi, en se glissant derrière moi et en me prenant dans ses bras.
Jatt ses mains et je les serre contre mon cur. Jessaie de maîtriser mes sanglots, mais je ny arrive pas. Car cest la fin de ce bonheur à la montagne. Je suis content pour lui, mais triste de devoir le quitter.
« Combien de temps il faudra avant quon se retrouve ? ».
« On se retrouvera bientôt, dès que je serai installé ».
Jai envie de lui parler de Paris, de ses nanas, de ses mecs, de ses tentations, de mes peurs. Jai à la fois envie de lui poser tant de questions et peur de le faire.
Mais ses bisous dans le cou et la caresse de sa barbe sur ma peau ont le pouvoir de mapaiser peu à peu. Je sens sa présence, je sens son amour, cest si fort, que je me dis que cest si spécial ce quil y a entre nous que ça résistera à la distance.
Et pourtant, j'éclate une nouvelle fois en sanglots. Cest nerveux, incontrôlable. Jérém me serre très fort dans ses bras, il fait tout ce quil peut pour me rassurer.
« Ne pleure pas, ourson, ça me rend triste aussi. Tu sais, je ne pars pas à la guerre ».
« Ne moublie pas, Jérém
» je lui lance en pleurant. Une poignée de mots qui résument parfaitement toutes mes peurs et ma tristesse.
« Je ne pourrais pas ».
Le ciel se couvre à nouveau, la couleur grise revient en force avec son côté à la fois mélancolique et romantique.
« Pourquoi tu ne mas pas redemandé la chemise que tu mas donné un jour, après une révision ? » jai soudainement envie de lui demander.
« Pour te laisser un souvenir de moi ».
Nous restons assis, enlacés, sur la butte au cur du cirque en pierre, le vent frais sur la peau, pendant un bon moment. Ses bras chauds et son torse chaud menveloppent, comme le cirque nous enveloppe. Il ny a que dans ses bras que je trouve un apaisement à ma tristesse.
Quelques gouttes commencent à tomber, et nous obligent à repartir. Sans cela, je crois que nous aurions pu rester là, sur la butte, enlacés, à tout jamais.
Avant de reprendre la descente, nous nous faisons un dernier câlin front contre front, nez contre nez, les mains enserrées autour du visage lun de lautre, nous nous échangeons des bisous pleins de fougue, comme rageurs, parce que volés au temps qui bientôt nous empêchera den échanger dautres.
En descendant, nous marchons côte à côte, en échangeant des regards complices, des petits sourires émus. Et dans son regard, je lis son amour.
Au village, nous prenons des sandwichs pour calmer notre faim.
« Pour le Pont dEspagne, cest raté aujourdhui » fait mon bobrun en regardant la pluie tomber.
« Cest dommage ».
« On ira une autre fois » il annonce.
« Promis ? ».
« Promis ! ».
De retour au chalet, nous faisons lamour, un amour doux, tendre, câlin. Nous savourons à fond ces derniers instants ensemble avant la fin de ce week-end magique, avant le saut vers linconnu qui nous attend dans quelques heures à peine.
Après lamour, Jérém me regarde et me sourit. Son sourire est beau, adorable.
« Pourquoi tu souris ? ».
Pour toute réponse, il me fait un bisou.
« A quoi tu penses ? ».
« Tu es beau, Nico, et tu es vraiment un super mec ».
« Pourquoi tu dis ça ? ».
« Parce que tu as fini par mapprivoiser ».
Cest beau ce quil vient de dire, et ça me touche.
« Ca na pas été une mince affaire ».
« Il y a un truc qui ma touché chez toi depuis toujours » il enchaîne, alors que mes doigts se glissent presque tout seuls dans sa toison de mâle.
« Cest quoi ? ».
« Ce sont tes yeux ».
« Mes yeux ? ».
« Tu as de grands yeux dans lesquels on lit tout ce que tu ressens. Tu as un regard rêveur, comme celui dun qui découvre le monde. Cest un regard un peu naïf, mais curieux, et qui se laisse émerveiller ».
« Un peu trop naïf, peut-être
».
« Non, pas du tout. Tu es un gars timide et très sensible, tu es un gars à fleur de peau. Tu manques dassurance, et ça te rend vraiment touchant ».
« Merci ».
Et alors que je nai pas encore totalement accusé le coup du bonheur apporté par ses mots, le bogoss enchaîne déjà :
« Et pourtant, tu mimpressionnes ».
« Moi
je timpressionne ? Tas vu ça où, toi ? ».
« Si, je te promets. Jaime ton côté fonceur et ta façon de ne pas te laisser décourager par les difficultés. Jaimais bien quand tu essayais de me tenir tête ».
« Quand jessayais de tembrasser ? ».
« Oui, par exemple ».
« Et pourtant tu me jetais comme une merde ».
« Je sais, et pourtant jaimais ».
« Si javais su
» je fais, sans pouvoir arrêter de caresser cette douce toison mâle sur ses pecs.
« Tu as lair de quelquun de doux, de fragile » il continue « et pourtant, tu as du caractère, tu sais ce que tu veux et ce que tu ne veux pas. Jaime ton coté assumé ».
« Je ne massume pas tant que ça, il ny a pas grand monde à qui jai dit que je suis homo ».
« Mais tu sais depuis longtemps que tu aimes les mecs et tu nas jamais essayé de lutter pour être quelquun dautre que toi-même. Franchement, je trouvais que tu étais courageux de supporter les moqueries au lycée ».
« Jen ai pas mal bavé ».
« Je sais. Mais jai toujours eu limpression que même si tu en souffrais, tu acceptais qui tu étais ».
« Quand on a commencé à me traiter de pd, je ne savais même pas ce que cétait. Je crois que je me suis vraiment accepté le jour où je suis tombé amoureux. Cest là que je me suis dit : pourquoi je minterdirais de vivre ça ? Cest tellement bon dêtre amoureux. Ce jour-là, cétait le premier jour du lycée, dès que je tai vu ».
Pour toute réponse, le bogoss recommence à poser des bisous tout doux sur ma peau.
« On a tous besoin de quelquun à aimer, peut-être plus encore que de quelquun qui nous aime » je réalise soudainement à haute voix.
Lamour de lautre nous dévoile à nous même. Le bonheur nous inspire.
« Parfois » continue le bobrun « quand tu passais au tableau ou que tu étais interrogé par un prof, quand je te voyais lutter contre ta timidité et contre les moqueries, javais envie de te prendre dans mes bras, de te rassurer, de te protéger ».
« Pourquoi tu ne las pas fait ? ».
« Pendant les cours ? » il se marre.
« Non, je veux dire, pourquoi tu nes pas fait comprendre avant ce que tu ressentais vis-à-vis de moi ? ».
« Je ne voulais pas être gay ».
« Et moi, je ne fais pas trop gay ? » jenchaîne, après un petit silence.
« Mais pas du tout. Tes un beau petit mec, très différent de lidée que je me faisais des gays. Avant de te rencontrer, je pensais que tous les gays étaient très efféminés ».
« Il y en a qui le sont, et ils ont le droit dexister eux aussi
».
« Oui, cest sûr, mais moi je ne kiffe pas. Toi tu es doux, timide, réservé, mais tu es quand même masculin. Et ça, jai vraiment kiffé. Pendant tout le lycée, javais envie de tapprocher. Toi, et personne dautre ».
« Et pourtant, tas couché avec dautres mecs avant moi ».
« Ce sont des occasions qui se sont présentées sans que jaille vraiment les chercher. Mais cétait toi que je kiffais. Depuis le premier jour du lycée ».
« Quest-ce qui ta touché ce jour-là ? ».
« Ton regard. Tu mas regardé comme si jétais un dieu. Personne ne mavait encore regardé de cette façon, même pas les nanas. Ton regard me manquait quand tu nétais pas en cours. En fait, tu me manquais tout court » il enchaîne après un moment de silence.
« Toi aussi tu me manquais quand tu nétais pas en cours » je me précipite de lui répondre, tout en le serrant très fort dans mes bras.
« Tu crois au destin ? » il me demande.
« Je crois, oui
».
« Quand on sest croisés dans la cour du lycée le premier jour, jai ressenti un truc bizarre, comme si on se connaissait depuis longtemps, depuis toujours, depuis une autre vie, comme si on avait été séparés et quun se retrouvait à nouveau, et quon se reconnaissait sur le champ ».
Je me suis souvent demandé ce que Jérém me trouvait, pourquoi il mavait choisi, moi, pour ses révisions. Et je me suis aussi demandé ce quun gars comme Jérém pouvait bien ressentir vis-à-vis de ma façon dêtre, de ma personnalité.
Désormais, je suis fixé. Et ça fait chaud au cur. Je naurais jamais pensé quil me kiffait à ce point, quil me trouvait tant de qualités, quil appréciait tant de choses en moi, et quil avait tant de considération à mon égard. Dailleurs, je nimaginais même pas quon puisse me kiffer de cette façon, me trouver tant de qualités, et quon puisse avoir tant de considération à mon égard. Et surtout pas que je puisse toucher, impressionner un mec comme Jérém, un mec qui avait lair de tout sauf de quelquun de facilement impressionnable.
Je naurais jamais pensé quil serait sensible à ma sensibilité, à ma timidité, à ma gaucherie, et quil me cernerait aussi bien. Et quil saurait lexprimer, quil aurait le cran de le faire de façon si précise. Ce mec auparavant si fier et sûr de lui, si mystérieux, accepte désormais de souvrir à moi. Jérém est un gars sensible et intelligent.
Je métais déjà senti apprécié dans le regard de Stéphane et, dans des proportions différentes, dans celui de Martin, celui de Julien et dans celui de Thibault. Mais cette fois-ci, la sensation est puissance mille car je me sens apprécié dans le regard bienveillant du gars que jaime. Son regard me fait un bien fou. Et il mémeut aux larmes.
Le regard de lautre, lorsquil est bienveillant, et à fortiori lorsquil est amoureux, nous fait nous découvrir à nous-mêmes.
Jai été ébloui par le Jérém « petit con hypersexy ». Jai été attiré par son corps de dieu grec, par sa belle petite gueule à faire jouir durgence. Jai été fasciné et comblé par sa sexualité débordante de jeune mâle. Jai été intrigué par un bobrun ténébreux et mystérieux qui cachait des fêlures. Jai été amoureux dun gars dont le cur métait inaccessible. Et je suis désormais fou amoureux dun petit mec touchant, un mec au grand cur, un mec vraiment bien. Et je crois, jen suis certain même, que je nai jamais été aussi amoureux de lui.
Après mavoir ému avec ses mots, mon bobrun sest une nouvelle fois donné à moi. Et, en dépit de ses mots sur la butte à Gavarnie, je sais quil a pris du plaisir. Quant à moi, jétais moins stressé, car je possédais désormais quelques repères. Et ça a été juste délirant.
Puis, ça a été à mon tour de me donner à lui une nouvelle fois. Jen avais envie, et mon bobrun a pris son temps. Nous avons chacun joui deux fois, une première en se donnant à lautre, une deuxième en faisant lamour à lautre.
Et cétait divinement bon à chaque fois. Pendant lamour, il ny avait plus dactif, plus de passif, juste deux corps qui se donnaient du plaisir, un plaisir qui passerait presque au second plan par rapport à cette communion des esprits et de lamour qui est le plus intense des bonheurs.
On aurait pu attendre le soir pour refaire lamour, mais on en avait tous les deux très envie. Et au fond de moi, quelque chose me disait quil ne fallait pas attendre et quil fallait profiter tant quil en était encore temps.
Il est 14h55 lorsque nous débarquons chez Charlène pour lui annoncer le départ de Jérém et pour revoir les chevaux une dernière fois. Je le sais, car jai regardé mon portable en arrivant au centre équestre pour vérifier sil y avait du réseau. Je voulais appeler maman pour lui annoncer mon retour le lendemain. Mais il ny a pas de réseau.
La pluie tombe drue, il fait froid. Il y a de la lumière dans la cuisine, on tape à la porte. Un instant plus tard, Charlène vient nous ouvrir. Mais ce nest pas la Charlène rigolote et souriante quon connaît. La Charlène qui se présente à nous a les yeux hagards, le teint blanc comme un chiffon. Elle a la tête complètement déconfite, on dirait quelle vient de voir un fantôme.
« Quest-ce qui se passe ? » la questionne Jérém.
« Vous ne savez pas ? ».
« De quoi, on ne sait pas ? ».
« De ce qui se passe
».
« Dis-nous ce quil y a, tu nous fais peur, là ».
« Un avion de ligne a percuté une tour ».
« Où ça ? ».
« A New York ».
« Mais comment ça, un avion percuté une tour ? Comment cest possible ? » fait Jérém, incrédule.
« Venez regarder la télé ».
On se souvient tous ce quon faisait et avec qui on était en ce 11 septembre 2001, lorsquon a appris que les Etats-Unis étaient attaqués. Moi jétais à Campan, avec mon Jérém et Charlène.
Les images qui se présentent à mes yeux sont incroyables. Lune des Twin Towers est en feu, une épaisse fumée noire séchappe de plusieurs étages et assombrit le ciel bleu.
« Ca sest produit il y a quelques minutes » nous explique Charlène « un avion de ligne sest encastré dans la tour. Les programmes viennent dêtre interrompus, sur toutes les chaînes on ne parle que de ça ».
« Mais quest-ce qui sest passé ? Comment cest possible ? » je tente de comprendre lincompréhensible.
« Au départ ils ont parlé dun départ de feu, puis dun accident ».
Charlène vient tout juste de terminer sa phrase, lorsque nous entendons lanimateur prononcer les mots « détournement davion », « attentat terroriste », « kamikaze islamiste ».
« Non, pas ça
» fait Charlène, horrifiée.
Linconcevable prend forme dans nos oreilles et dans nos têtes. Et lincrédulité cède soudainement la place à la sidération, à un profond sentiment de malaise, décurement, à une souffrance qui est un mélange dhorreur, dinjustice, dimpuissance.
Cette catastrophe se passe à des milliers de kilomètres de moi et pourtant je la sens si proche, je la sens dans mes tripes. Et cest la même chose pour Charlène et pour Jérém. On est tous scotchés à la télé, sciés, abasourdis, anéantis. La main de Jérém cherche la mienne, nos doigts sentrelacent, les yeux toujours rivés sur lécran.
Ma raison bugge face à ce drame qui la dépasse. Elle ne peut pas supporter tant dhorreur, alors elle se livre au déni. Je me dis que ce nest pas possible, quon est en train de regarder un mauvais film catastrophe. Ou quon est les victimes dun canular médiatique. Comme celui dOrson Welles il y a 60 ans.
Et alors que je tente de me persuader que dici peu lanimateur du flash info va vendre la mèche et que le cauchemar va prendre fin, un deuxième avion surgi de nulle part traverse le ciel comme un éclair et va sencastrer dans la deuxième tour, après lavoir percutée de plein fouet, avec une violence inouïe. Une boule de feu et de fumée se dégage instantanément, comme une image de lenfer. Chantal pousse un cri dhorreur.
« Mais il y a des gens là-dedans ! ».
Non, le cauchemar ne va pas prendre fin de sitôt, il nen est quà son début.
Soudain, des couplets entendus à la radio le matin même remontent à ma conscience, résonnent dans mes oreilles et font se dresser tous les poils de mon corps :
Il se passe quelque chose à Monopolis
Quand le soleil se couche, tout l'Occident a peur
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